La question de l’ingénierie, souvent réduite aux impacts sociétaux des artéfacts qu’elle élabore, oublie les formes de pensée que les ingénieurs mettent en œuvre pour raisonner et réaliser. Pourtant, ces pensées recèlent un intérêt philosophique non négligeable, en particulier lorsque, comme aujourd’hui, l’ingénierie se trouve obligée de prendre en compte la complexité des objets qu’elle appréhende et conçoit. Il s’agit ici, grâce à l’observation et à l’analyse des pratiques de recherche des ingénieurs sur plus d’un siècle, de mettre en lumière des démarches rarement placées sous le regard des philosophes.
Pour accéder aux stratégies cognitives de développement des systèmes d’ingénierie face à la complexité, il est nécessaire de plonger dans un certain langage des systèmes artificiels et dans celui d’une modélisation qui lui est particulièrement adaptée : la méthode par Bond Graphs. Au fil du xxe siècle, la recherche récurrente d’un formalisme unique susceptible de coupler les domaines physiques et les nombreuses réflexions autour de sa justification ont enrichi le concept de couplage ou de transduction. Ce concept a lui-même progressivement aidé à façonner l’expression d’une cohabitation intrinsèque des différentes phénoménalités. La modélisation par Bond Graphs, par ses concepts spécifiques, s’est saisie de cette évolution. Elle permet aujourd’hui d’exprimer le lien étroit entre les effets multiphysiques et montre, par contrecoup, que l’ingénierie contribue aux transformations épistémologiques actuelles.
Plusieurs sujets de philosophie des sciences sont ici concernés : la multiplicité des raisonnements mobilisés pour résoudre les problèmes, la diversité des causalités dont celle, particulière, liée au couplage, l’intrication des phénoménalités, la spécificité ceteris non paribus des systèmes dans leur rapport aux lois physiques ainsi que l’entrée de la systémique dans la « pensée complexe ». Car les systèmes artificiels élaborés nous apparaissent bien complexes du fait des difficultés calculatoires qu’ils engendrent, mais surtout par leurs caractères multiphysiques, autorégulés, aléatoires, structurellement élaborés, etc. Le sentiment d’inaccessibilité qu’ils suscitent met au défi les ingénieurs d’innover et d’en proposer, malgré tout, des modèles efficaces.
Auteurs | Hélène Gaget |
Titre | La pensée des ingénieurs face à la complexité |
Sous-titre | De l’analogie mécanique-électrique à la modélisation complexe |
Édition | 1re |
Date de publication | Mai 2025 |
Préface | Geneviève Dauphin-Tanguy |
Postface | Anouk Barberousse |
ISSN | 2425-5661 |
ISBN | 978-2-37361-482-4 |
eISBN | 978-2-37361-483-1 |
EAN13 Papier | 9782373614824 |
EAN13 PDF | 9782373614831 |
Nombre de pages | 492 |
Dimensions | 16 x 24 cm |
Prix livre papier | 32 € |
Remerciements (page 3)
Préface de Geneviève Dauphin-Tanguy (page 5)
1 (page 9) Introduction
1.1] Faire de l’épistémologie à partir des méthodes de l’ingénierie : par-delà le rôle matériel des artefacts
1.2] Le champ d’investigation : les systèmes dynamiques artificiels
1.3] L’axe épistémique choisi : l’expression du couplage ou transduction
1.4] Le cas d’étude de la modélisation par Bond Graphs
1.5] Mobiliser la philosophie des sciences
1.5.1] Sur la notion d’analogie
1.5.2] Sur l’intrication des phénomènes
1.5.3] Sur la diversité des causalités
1.5.4] À propos des lois de la physique, l’hypothèse ceteris non paribus
1.5.5] À propos du holisme et des mondes différenciés
1.5.6] Sur la notion de paradigme
1.5.7] Sur l’entrée de la systémique dans la pensée complexe
1.5.7.1] À la recherche de critères de complexité des systèmes
1.5.7.2] La cohabitation des moyens de la modélisation avec une pensée complexe
1.6] Plan de l’ouvrage
2 (page 29) Des méthodologies successives à disposition de l’évolution du discours
Partie 1. Définitions et aspects techniques
3 (page 39) Situer le contexte scientifique du propos : la prééminence de l’énergie et le lien analogique entre domaines physiques
3.1] Quelques définitions préalables
3.1.1] Flux épistémiques, démarches et schémas épistémiques
3.1.2] Les ingénieurs
3.1.3] Les caractéristiques accross et through
3.1.4] La complexité
3.1.5] La phénoménalité et les phénomènes
3.1.6] L’ontologie
3.1.7] L’a priori
3.2] Les sciences physiques de l’ingénierie et la prééminence de l’énergie
3.2.1] Puissance, énergie, effort et flux
3.2.2] Les phénomènes énergétiques élémentaires
3.2.3] Les transducteurs, la transduction
3.2.4] Les transformateurs et les gyrateurs
3.2.5] Les relations de réciprocité d’Onsager ou d’Onsager-Casimir
3.2.6] Les variables généralisées d’énergie dans le contexte des BG
3.2.7] La co-énergie
3.3] L’analogie entre domaines physique
3.3.1] Première justification des analogies mécaniques-électriques
3.3.2] Présentation de la problématique analogique
3.3.3] Les deux formes analogiques
3.3.4] Comment l’analogie se place au cœur de la modélisation
4 (page 61) La modélisation par Bond Graphs et sa synthèse des analogies interdomaines
4.1] Brève introduction aux BG
4.2] Présentation technique simplifiée
4.3] Quelques exemples de modèles BG
4.4] La causalité dans les BG
4.5] Un exemple de BG complet
4.6] Correspondances analogiques entre variables et entre paramètres
4.7] Le concept de multiport et de multilien
Partie 2. Considérations historiques
5 (page 81) L’émergence des deux systèmes analogiques de 1920 à 1960
5.1] Exposition historique
5.2] Commentaires épistémologiques sur l’évolution de l’attitude des ingénieurs vis-à-vis de la formulation analogique
6 (page 87) Le silence progressif des arguments qui justifient l’analogie entre domaines depuis l’émergence de la modélisation BG
6.1] La considération et l’usage des analogies dans le développement de la modélisation BG suivant la filiation de Paynter
6.1.1] L’étape préalable de la construction d’un domaine générique
6.1.2] La construction des normes et standards de la pratique BG
6.1.3] L’édition suivante et l’analogie classique
6.1.4] Les deux dernières éditions et le silence sur la valeur épistémologique de l’analogie
6.1.5] Considérations épistémologiques sur cette série éditoriale
6.2] D’autres auteurs pour un ancrage physique mais silencieux sur le lien analogique
6.2.1] Trois ouvrages
6.2.2] Considérations épistémologiques à propos de ces trois ouvrages
7 (page 105) La conscience du problème analogique exprimée dans le cadre des BG
7.1] Des présentations BG ancrées dans la physique et conscientes du rapport analogique
7.2] Un choix analogique discuté
7.3] Une modélisation BG basée sur l’analogie de mobilité
7.4] Discussion épistémologique sur ces trois attitudes
7.5] La sortie du confinement entre les deux analogies
Partie 3. Une nouvelle analogie entre domaines physiques
8 (page 115) La difficile représentation des processus thermodynamiques et son rôle dans l’évolution de la transduction
8.1] Préambule thermodynamique
8.1.1] Les spécificités de la thermodynamique
8.1.2] Les pseudo-Bond Graphs
8.2] La détermination entre « force et flux » en tension dans la thermodynamique
8.3] La motivation thermodynamique en modélisation
9 (page 129) Une nouvelle analogie fondée sur une catégorisation autre des domaines de la physique
9.1] Une « thermodynamische Beschrijving » pour l’ensemble des domaines
9.2] La définition d’un domaine physique
9.3] Quelques commentaires sur le problème du choix des variables d’effort et de flux
9.4] Le cadre thermodynamique de la théorie des systèmes physiques
10 (page 139) L’évolution des arguments et de la présentation de la nouvelle trame physique chez Paul Breedveld
10.1] Premier moment épistémologique
10.1.1] Les premiers articles : un ancrage dans le point de vue thermodynamique
10.1.2] La validation des concepts BG pour traiter des systèmes ouverts
10.2] Moment charnière, moments de synthèse
10.2.1] Refaire le point sur l’embarras des analogies
10.2.1.1] Les articles de Hogan et Breedveld sur les bases physiques des analogies
10.2.1.2] Des commentaires sur ces textes
10.2.2] De l’analogie entre grandeurs au couplage, puis du couplage à l’unification
10.3] Deuxième moment épistémologique
10.3.1] Les articles des années 2000-2010 : un point de vue général en surplomb
10.3.2] Commentaires sur ces deux derniers textes
10.3.3] Conclusion
Partie 4. Considérations épistémologiques
11 (page 171) Les raisonnements en jeu dans la construction du concept de transduction
11.1] Introduction : d’une analogie abstraite à un couplage phénoménal
11.2] L’analogie
11.3] Du point de vue des Bond Graphs
11.4] Le raisonnement analogique
11.5] Du point de vue des Bond Graphs dits thermodynamiques
11.6] Les autres modes de raisonnement qui fondent la modélisation BG
11.6.1] Le moment d’intériorité
11.6.2] Le moment d’extériorité
11.7 Conclusions
12 (page 193) De l’analogie mécanique-électrique à une vision intriquée des phénomènes
12.1] Moteur et fil conducteur
12.2] Le rôle d’une approche systémique
12.3] Le multiport et le multilien comme représentation des couplages
12.4] Une phénoménalité élaborée exprimée par les multiples mises en rapport des variables
12.5] Rôle épistémique des multiports et multiliens
12.6] Rôle épistémologique des multiports-multiliens
12.7] Du coupage à la simultanéité, de la simultanéité à l’intrication d’effets
13 (page 215) La phénoménalité intriquée et le rôle des BG dans son émergence
13.1] La phénoménalité intriquée
13.1.1] Une définition
13.1.2] Les raisons de passer de la multidisciplinarité à l’intrication
13.2] Le rôle des modélisations par BG ou GBG dans la pensée de l’intrication
13.2.1] La vision intriquée des phénomènes et les BG
13.2.2] Pas de nécessité entre pensée de l’intrication et méthode de modélisation
13.2.3] La vision intriquée des phénomènes et les GBG ?
13.2.4] Une modélisation comme écho à l’entremêlement des phénomènes
14 (page 229) Perspectives philosophiques de l’intrication des phénomènes. I. La diversité des causalités questionnée
14.1] Introduction
14.2] Présentation de quelques approches nouvelles de la causalité en philosophie des sciences
14.2.1] La difficile car multiple approche de la causalité
14.2.2] Les approches philosophiques de la causalité au xxe siècle
14.2.3] Quelques remarques complémentaires pour la suite du propos
14.2.3.1] Causalité, persistance et transferts
14.2.3.2] Causalité et transferts immatériels
14.2.3.3] Asymétrie de la causalité
14.2.3.4] Causalité, lois et affectations
14.2.3.5] Cause et causalité : deux natures de concepts
14.2.3.6] Causalité et déterminisme
14.2.3.7] Causalité et simultanéité
14.3] Les diverses natures de la causalité dans le contexte des systèmes
14.3.1] La causalité comme intention, comme commande en entrée
14.3.2] La causalité comme processus physique
14.3.3] La causalité comme relation constante
14.3.4] La causalité calculatoire
14.3.5] La causalité pseudo-acausale
14.3.6] La causalité à délai nul comme dualité phénoménale
14.3.7] La causalité comme une histoire racontée
14.3.8] La causalité et la boucle de rétroaction
14.4] Les couplages et la causalité
14.5] Conclusion
15 (page 277) Perspectives épistémologiques de la phénoménalité intriquée. II. Former des hypothèses ceteris non paribus et faire cohabiter holisme et mondes différenciés
15.1] Une émergence non a priori dans la pensée des ingénieurs
15.2] Les théorie générale des systèmes, pensée systémique et philosophie des systèmes
15.3] Le problème de la superposition des effets et les lois de la nature
15.4] La superposition des lois : mise en regard de la philosophie de Nancy Cartwright avec le contexte des systèmes d’ingénierie
15.5] Quelle utilité explicative ou prédictive y a-t-il à penser les phénomènes ou les effets de façon superposée ou intriquée ?
15.6] Lois et hypothèses ceteris paribus
15.7] Intrication, holisme et mondes différenciés
15.8] La nécessaire cohabitation de la systémique et des mondes différenciés
15.9] Conclusion
16 (page 315) La phénoménalité intriquée forme-t-elle un nouveau paradigme ?
16.1] Définir le paradigme
16.2] La vision intriquée des phénomènes comme paradigme
16.3] L’émergence d’un paradigme d’intrication dans le traitement des formes hétérogènes de données
16.4] Ce que la modélisation par BG ajoute aux aspects paradigmatiques de la vision intriquée
16.5] Les spécificités des GBG vis-à-vis des aspects paradigmatiques d’une vision intriquée
17 (page 331) Systèmes complexes et pensée complexe. Définitions et situation dans l’histoire de la philosophie des sciences
17.1] Introduction
17.2] Comme intuition de la complexité, la difficile formulation de la phénoménalité des systèmes
17.3] La complexité des systémiciens
17.3.1] Une définition
17.3.2] Une nature de solutions
17.4] La pensée complexe chez Edgar Morin
17.5] La pensée complexe située dans la philosophie des sciences du xxe siècle
17.5.1] L’évolution de la philosophie des sciences au xxe siècle et le rôle déterminant des modèles
17.5.2] Situer la pensée d’Edgar Morin dans cette évolution philosophique
17.6] Deux remarques à partir de la pensée d’Edgar Morin
17.6.1] Pensée simplifiante et fermeture des systèmes
17.6.2] Les jeux du hasard et les systèmes complexes
17.7] Pensée complexe et modélisation
18 (page 363) à la recherche de critères pour la complexité des systèmes. Quelle complexité pour quel système ?
18.1] Première partie : recherche de critères distinctifs du compliqué et du complexe
18.1.1] Introduction
18.1.2] Définir les critères de complexité des objets
18.1.2.1] Retour sur les critères de complexité déjà évoqués
18.1.2.2] Autres critères qualitatifs de complexité inhérents aux objets
18.1.2.3] Les critères liés à notre accès aux objets
18.1.2.4] Une quantification des degrés de complication ou de complexité
18.1.3] L’opacité épistémique
18.1.3.1] Définitions
18.1.3.2] Les opacités « en pratique » et « en principe »
18.1.4] Le cas de l’émergence
18.1.5] La nature en pratique ou en principe de l’opacité se reporte-t-elle sur une complexité en pratique ou en principe ?
18.1.6] Conclusion
18.2] Deuxième partie : quelle complexité pour quels systèmes ?
18.2.1] Une autre acception de la complexité
18.2.1.1] La complexité* des images mentales des systèmes
18.2.1.2] À la recherche d’une mesure métacognitive de l’ignorance
18.2.2] La complexité*, une question de contexte
18.2.3] Être au clair au sujet des objets visés par l’évaluation de complexité*
18.2.3.1] Les trois objets-systèmes
18.2.3.2] Les complexités respectives des trois systèmes Sr, Sm et Scalc
18.2.4] En conclusion
19 (page 431) Cohabitation des moyens de la modélisation avec une pensée complexe
19.1] Introduction
19.2] La modélisation comme problématisation de la complexité
19.3] En quoi certaines formes de modélisation sont-elles adaptées au traitement de la complexité des objets ?
19.3.1] De quelle complexité parle-t-on ?
19.3.2] L’axe du propos : rendre visible la notion dans la façon de la traiter
19.3.3] Les concepts BG cohérents avec la complexité
19.3.4] Les attitudes de modélisation BG en cohérence avec la complexité
19.3.5] Les éléments techniques de traçage du graphe en cohérence avec la complexité
19.4] En quoi ces méthodes de modélisation suscitent-elles la vision complexe du monde ou forment-elles l’acteur à une telle pensée ?
19.4.1] Sur le plan des principes fondant les BG
19.4.2] Sur le plan des méthodes
19.4.3] La spécificité des GBG
19.5] Les spécificités antagonistes et la pensée complexe :
leur expression dans la modélisation par BG
20 (page 461) Conclusion
20.1] Le cheminement de pensée de l’analogie à une intrication des phénomènes
20.2] Quelques apports épistémologiques de la pensée des ingénieurs
20.3] Avoir préhension sur la complexité
Postface d’Anouk Barberousse (page 469) Un grand livre de philosophie des sciences
(page 471) Bibliographie